Et si nous nous trompions sur nos pouvoirs ? Et si tout ne dépendait pas de nous ? En discutant récemment avec une amie aidante, nous avons réalisé combien nous avons tendance à croire que tout ce qui arrive à nos proches — en positif comme en négatif — dépend de ce que nous faisons ou pas :
« Si mon fils est hypersensible, c’est peut-être parce que je n’ai pas su m’adapter suffisamment à ses besoins quand il était petit »
ou « En tant que fille, il est de mon devoir d’héberger mon père atteint d’Alzheimer et de m’occuper de tous ses soins »
ou encore « Les troubles bipolaires de mon mari sont très envahissants mais je n’ai pas le droit de partir en vacances sans lui, ce serait comme un abandon »…
Finalement, nous avons l’impression d’être au centre de notre petit monde, convaincues que rien ni personne ne saurait nous remplacer. Alors bien sûr, cette pensée a un côté valorisant, mais à quel prix ?
N’est-il pas terriblement angoissant de croire que l’on porte sur soi l’entière responsabilité de la vie de quelqu’un d’autre ?
Cette croyance place la barre démesurément haut ! J’ai l’impression d’entendre la fameuse phrase de Spiderman : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » – ça sonne encore mieux en anglais, « With great power, comes great responsibility », prononcée avec la voix grave d’un acteur hollywoodien ^^.
Pas étonnant que nous passions notre temps à nous dévaloriser et à nous juger nulles dès que l’on rate un rendez-vous, que l’on ne coche pas toute notre to-do-list ou que notre proche ne rentre pas dans les cases, comme si tout était de notre faute…
Alors qu’en réalité, nous faisons de notre mieux et c’est déjà énorme !
Outre le risque évident de nous conduire à l’épuisement, croire que tout dépend de nous comporte un autre travers : celui de priver nos proches de leur propre responsabilité. Rebecca Dernelle Fischer en parle très bien dans son ebook « La barre vitaminée des Fabuleuses aidantes » :
« Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de tout leur bonheur, de tout leur parcours, de tout ce qui viendra et arrivera. On aimerait énormément pouvoir être sûrs que tout dépend de nous. C’est une manière de garder le contrôle. De calculer au long terme de manière logique. Mais tous les jours, nous sommes confrontés à la réalité : on ne peut ni tout prévoir, ni tout maîtriser, ni tout contrôler. Et heureusement, parce qu’en réalité la responsabilité nous écraserait complètement. Relativisons notre rôle. Il faut apprendre à lâcher prise et à faire confiance aux gens que nous accompagnons. Ils ont aussi leur rôle à jouer, osons lâcher du lest, libérer nos épaules si lourdes. »
Ces considérations me font aussi penser aux propos de Donald W. Winnicott, célèbre pédiatre et psychanalyste britannique, au sujet de la « mère suffisamment bonne », à savoir une mère qui répond de manière adaptée aux besoins de son enfant, sans en faire trop, ni trop peu. Ce juste équilibre se situe entre une mère qui ne serait « pas assez bonne » et laisserait son enfant en souffrance, et une mère « trop bonne » qui répondrait de manière excessive et immédiate à ses besoins, ne lui laissant pas l’occasion de faire l’expérience du manque, essentiel à la construction de sa personnalité.
Bien sûr, dans le cas d’un proche souffrant de handicap ou de maladie, ce « juste équilibre » est particulièrement difficile à évaluer.
Mais j’en garde la conviction que nos aidés ont besoin que nous leur laissions de l’espace pour ressentir leurs besoins, développer leurs propres ressources et expérimenter d’autres relations.
Chère Fabuleuse, rassure-toi :
Je ne cherche pas à t’accabler, je sais combien il est difficile de se défaire de nos pensées automatiques. Simplement, le fait d’en prendre conscience peut nous aider à lâcher un peu prise sur nos croyances et, ainsi, accepter davantage la possibilité de déléguer certaines tâches. Marina Al Rubaee et Jean Ruch le formulent en ces termes dans le livre Les proches aidants pour les nuls :
« En effet, se faire aider, ce n’est pas se soulager et renoncer, c’est faire preuve de discernement et de courage, car l’on met alors en place les conditions pour rendre le quotidien le plus vivable et le plus agréable possible autant pour la personne aidée que pour soi-même. Vous n’êtes ni un héros ni un martyr. Juste un être humain dans son entière complexité. »
En conclusion, je nous invite donc à retenir cette bonne nouvelle :
Non, nous ne sommes pas toutes-puissantes !
Quelle que soit la situation qui nous a amenées à devenir aidantes, cela ne nous a pas transformées en Spiderwomen armées de super-pouvoirs et de super-responsabilités. Nous restons humblement humaines, au même titre que tous les autres membres de la société. Dès lors, rien ne nous oblige à porter cette charge seules : osons solliciter notre entourage, les associations et les institutions, mais aussi les personnes que nous aidons elles-mêmes. Et autorisons-nous à prendre soin de nous, car nous n’avons pas besoin de tout gérer pour être fabuleuses