Frères et sœurs : quel mode d’emploi ?

Mon premier se considère comme légitime pour décider de tout, mon deuxième se rebelle et en vient rapidement aux mains, tandis que mon troisième emploie l’arme favorite des petits derniers : il provoque puis hurle au secours… Et mon tout baigne dans l’amour vache !

Chère Fabuleuse, je pense que tu auras deviné la solution de ma charade : je viens de te décrire les relations tumultueuses entre mes trois enfants. Franchement, quand je les observe, je me dis souvent que la fratrie est un sacré apprentissage de la loi de la jungle – pardon, de la vie en société…

Il est donc logique que quand le handicap ou la maladie s’invite au milieu de ce charivari, il joue lui aussi un rôle dans l’écosystème familial, avec ses forces et ses faiblesses. On évoque souvent le grand mélange de sentiments qui peuvent envahir les frères et/ou sœurs d’un enfant touché par le handicap ou la maladie : jalousie de l’attention qui lui est portée, culpabilité (« Pourquoi lui et pas moi ? »), honte (de lui et de soi)… mais aussi sollicitude, empathie, tendresse, etc. 

Et tout ça se conjugue différemment selon la situation rencontrée et la personnalité de chacun. Pas simple à gérer pour les parents, qui ont eux-mêmes fort à faire avec leurs propres sentiments !

Pour mieux comprendre ce qui se passe et comment réagir, je te propose ici quelques pistes glanées parmi mes lectures et observations :

#1 Favoriser le dialogue

Dès l’annonce du diagnostic (s’il y en a un), c’est la souffrance des parents qui va d’abord être perçue par les enfants, et non le handicap – qui peut être une notion très abstraite s’ils sont jeunes. Dans ce premier temps, « ce n’est pas l’explication détaillée et médicale de la maladie qui compte pour les frères et sœurs, mais surtout le dialogue sur ce qui se passe à ce moment-là dans la famille, selon les psychologues Clémence Dayan et Régine Scelles. lls ont besoin de partager leurs émotions. Parler, être écouté, permet d’alléger leur culpabilité et de réduire l’étrangeté de la situation et de vivre ce qui arrive. » Si cela te semble trop difficile à proposer seule, n’hésite pas à faire appel à un psychologue pour être accompagnée dans ces échanges.

#2 Partir de ce que l’enfant sait déjà

Progressivement, des questions peuvent émerger sur la pathologie, sur son évolution, sur la mort… En tant que parent, on a tendance à vouloir protéger nos enfants en les tenant à l’écart des sujets douloureux. Mais en réalité, ils en savent déjà souvent beaucoup plus que ce que nous croyons et ont simplement besoin de pouvoir en parler avec nous. Parfois, ils n’attendent pas de réponse précise mais veulent juste partager leur interrogation. Quand ta fille ou ton fils te pose ce type de questions, peut-être peux-tu essayer de lui demander d’abord quelle serait sa réponse, pour partir de ce qu’elle ou il sait déjà ? 

Par ailleurs, l’agressivité est, comme je l’évoquais en introduction, inévitable au sein de n’importe quelle fratrie. Les enfants se construisent en se mesurant à leurs frères et sœurs et cela les prépare aux relations sociales. Mais ils risquent de réfréner leurs élans querelleurs — pourtant normaux — vis-à-vis d’un enfant en situation de handicap. Le risque est alors que cette agressivité réprimée soit déplacée sur un tiers (un autre enfant par exemple) ou retournée contre soi. Alors comment faire ? Encore une fois, l’essentiel est de favoriser le dialogue pour que ces ressentis puissent s’exprimer et être reconnus comme légitimes. En guise d’illustration, je t’invite à (re)lire ce très joli texte d’Axelle Huber, « Mon frère, ma sœur, ce héros ».

La jalousie masquée

La jalousie peut aussi être masquée par une grande sollicitude à l’égard du frère ou de la sœur handicapé(e) ou malade, voire une tendance à adopter des comportements parentaux. Certains enfants s’assignent en effet le devoir de prendre soin de leur frère ou sœur pour soutenir leurs parents débordés et réduire leur sentiment d’impuissance. Ton rôle de maman, si tu perçois ce type d’attitude, va dépendre de chaque situation. Je crois qu’il est possible d’accepter et même de valoriser le souhait de vouloir aider, mais en discutant en famille de la forme à donner à cette aide. En effet, un enfant de 8 ans ne doit pas se charger d’une responsabilité qui non seulement n’est pas de son âge, mais qui en plus nuit à sa relation avec son frère. En revanche, peut-être peut-il l’aider à mener certaines tâches (comme des constructions ludiques), si son frère ou sa soeur est d’accord ?

Le syndrome de l’enfant parfait

Enfin, il arrive qu’un enfant glisse dans le syndrome de “l’enfant parfait” : pour éviter de charger ses parents de contraintes supplémentaires, il va s’appliquer à être le plus docile possible, le plus brillant scolairement, le plus dévoué familialement… au risque de développer un « faux self », c’est-à-dire une personnalité de façade qui peut cacher des émotions beaucoup plus douloureuses. Dans ce cas, il peut être utile de rappeler à toute la fratrie que chacun a des besoins différents mais que tous sont légitimes. Certaines institutions ou associations de patients proposent des groupes de parole pour les fratries de l’enfant suivi : n’hésite pas à les contacter, ce sont de précieux leviers d’extériorisation.

Je voudrais maintenant partager avec toi un extrait de S’adapter, le très beau livre de Clara Dupont-Monod sur la naissance d’un enfant handicapé raconté par sa fratrie – ici la cadette : « Il était inutile d’ajouter du chaos au chaos. L’heure n’était plus au chagrin. L’heure était au sauvetage d’une famille en péril. Son père devenait violent, sa mère muette et son aîné était déjà un fantôme. Il était l’heure de combattre. Une force émergea au fond d’elle, d’une froideur tranchante. (…) Elle agissait cliniquement, en soldat dans la bataille. (…). Dira-t-on un jour l’agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre, dira-t-on les funambules que sont les éprouvés ? »

Comment ce texte résonne-t-il en toi, chère Fabuleuse ?

De mon côté, je le trouve à la fois terrible et lumineux. Bien sûr, chaque situation est différente et le chaos n’est heureusement pas systématique. Mais on ne va pas se mentir, le handicap d’un frère ou d’une sœur peut nécessiter des adaptations difficiles… Cependant, il peut aussi forger de magnifiques qualités humaines. Accueillir la différence au sein de son propre foyer forge une indéfectible ouverture d’esprit, une maturité et un sens des responsabilités accrus. Il construit aussi des personnalités douées d’une profonde empathie et de bonnes capacités pédagogiques – des vertus dont toute la société a besoin.

Pour conclure, je dirais que l’enjeu, comme dans n’importe quelle famille, est d’essayer de donner sa place à chacun. S’autoriser à ne pas faire tout tourner autour du handicap et prévoir des moments dédiés à chaque enfant… Ce n’est évidemment pas simple, alors fais comme tu peux, sans pression, en gardant simplement la porte ouverte aux uns comme aux autres. Quoi que tu fasses, tu es fabuleuse et tes enfants le savent mieux que personne !