Depuis que mon fils aîné est arrivé dans ma vie, j’ai dû faire mienne cette devise anglo-saxonne : « Always expect the unexpected », c’est-à-dire en bon français : « toujours prévoir l’imprévisible ». Certes, cette maxime concerne tous les parents – et même la vie en général. Mais avec un enfant à haut potentiel et hypersensible, adopter cette vision est devenue à la fois une question de survie mentale et une discipline olympique. Car ce petit zèbre a un don tout particulier pour me prendre à contre-pied…
Chère Fabuleuse,
Je te raconte une scène parmi tant d’autres. Récemment, mon fils de 10 ans a passé pour la première fois un examen scolaire assez exigeant. Connaissant sa propension à perdre ses moyens devant l’adversité, j’ai passé toute la durée de l’épreuve à surveiller mon téléphone, imaginant à chaque instant devoir venir chercher mon pauvre bonhomme en pleurs devant sa copie. Mais non, il est sorti tranquillement au bout du temps imparti, l’air aussi impassible que s’il terminait un rendez-vous de routine chez la psychomotricienne. Surprise et soulagée, je le félicite pour son courage et nous poursuivons la journée.
Or plusieurs heures plus tard, alors que je croyais tout « danger » éloigné, voilà qu’un incident mineur (comme une tartine tombée par terre ou un couvercle difficile à ouvrir) transforme brutalement mon fils en une explosion de larmes et de cris qui me prend complètement au dépourvu. Mais enfin, me diras-tu, c’est parfaitement logique : il lui fallait simplement le temps de digérer son stress du matin… C’est vrai, mais tu comprendras que l’équation f(x) = délai x intensité de l’émotion comporte de nombreuses inconnues.
Avec lui, la seule constante est que justement, rien n’est constant !
Autre exemple typique : les devoirs. Si j’ose suggérer à Monsieur l’idée d’ouvrir son agenda alors qu’il a d’autres projets bien plus essentiels en tête – tels que créer un pont suspendu en Kapla, poursuivre la lecture du 7e tome de sa saga du moment ou taper sur sa machine à écrire le nouveau règlement intérieur de son association familiale, une tragédie en 12 actes s’enclenche pour au moins deux heures de one man show : sourde oreille, lamentations, tergiversations, négociations, hurlements, affaissement au sol, etc. En revanche, si par bonheur Son Altesse est bien lunée, il est capable de s’y atteler de son plein gré et l’affaire est classée en 10 minutes chrono
De manière générale, un événement qui provoque un drame un jour peut se dérouler en toute sérénité la semaine suivante, et inversement.
De quoi rendre le quotidien assez épuisant !
Sachant que de son côté, mon fils, lui, ne supporte pas les surprises, évidemment. Alors quand je le peux bien sûr, je le préviens à l’avance du programme pour qu’il ait le temps de s’organiser, à la fois émotionnellement et par rapport à ses projets. J’essaie aussi de l’encourager à avoir confiance en ses capacités et de l’accompagner de paroles apaisantes quand il se sent dépassé.
Mais quelles que soient mes précautions, il continue encore et toujours à me surprendre.
Finalement, j’ai un peu l’impression d’avoir sous mon toit un drôle de volcan dont les phases de sommeil et d’activité sont totalement anarchiques. Et j’ai beau être devenue une volcanologue expérimentée, je me trompe encore souvent sur le décodage des signaux de fumée… Il suffit de me voir marcher sur des œufs pour lui demander un service et de croiser son regard perplexe : « Ben c’est déjà fait Maman ! » Avec le temps, j’ai donc dû prendre le seul parti possible :
Accepter de ne rien pouvoir prévoir de ses réactions.
Peu à peu, je réalise surtout que malgré tout mon amour de maman, je ne peux pas épargner à mon enfant la confrontation au monde : son cerveau hyperréactif l’amènera nécessairement à des situations où il sera en décalage avec les attentes des autres – et pas seulement avec les miennes. C’est une donnée qui fait partie de sa personnalité et avec laquelle il va devoir apprendre à vivre. Mon rôle de maman n’est donc pas de lui éviter tout obstacle ou malentendu mais de l’aider à apprivoiser son fonctionnement pour mieux se comprendre et, ainsi, trouver des stratégies pour s’adapter au mieux à ce monde.
Pour ma part, être la mère de cet enfant-là me fait pleinement expérimenter l’idée selon laquelle ce ne sont pas nous qui élevons nos enfants, mais nos enfants qui nous élèvent. En effet, par ses réactions émotionnelles extrêmes et imprévisibles, par ses réflexions exigeantes et parfois dérangeantes, mon fils me pousse dans mes retranchements et m’oblige à avancer sur mon chemin intérieur.
En parallèle, je bénéficie aussi de ses merveilleuses qualités :
une incroyable empathie, des idées foisonnantes, une indépendance d’esprit, une honnêteté sans faille, une fulgurance de raisonnement et tant d’autres trésors dont il n’a pas encore conscience…
En somme, le haut potentiel et l’hypersensibilité compliquent un peu (beaucoup) notre vie de famille, mais ils la rendent aussi intensément extraordinaire ! À moi de considérer l’imprévisibilité de mon petit volcan comme une chance de voir le monde autrement – quitte à me sentir encore bien souvent à côté de la plaque